La fabrique du cinema de Guy Debord
Je ne ferai, dans ce film, aucune concession au public.” C’est en ces termes que Guy Debord ouvre son film In Girum imus nocte et consumimur igni en 1978. La formule donne le ton de toutes ses oeuvres cinématographiques, où se mêlent regard rétrospectif sur son parcours de révolutionnaire et critique radicale de la Société du spectacle. À rebours de tout cinéma, Debord élabore ainsi, de 1952 à 1978, une oeuvre filmée unique en son genre, exigeante, corrosive.
Le détournement, qui consiste à réemployer dans un contexte nouveau une production culturelle préexistante, permet à Debord de porter la contradiction au coeur même de la civilisation capitaliste : par l’image, il en exhibe la vérité cachée derrière ses mensonges. Ses films sont ainsi composés de nombreux documents visuels de nature et d’origine diverses : extraits de films, publicités, actualités, catalogues de vente, magazines de charme, reproductions d’oeuvres d’art, cartes et plans, photographies personnelles, etc. Cette collection reflète à la fois une époque et un regard porté sur elle. Debord y puise les images qui seront filmées au banc-titre, et y appose des calques où il reporte minutieusement des indications de cadrage et de montage.
Cet ouvrage propose de présenter ces documents, souvent inédits. Ils reviennent sur la période des années 1960-1970, tout en exposant la technique de travail de Debord. Un essai introductif expose les procédés et les fins d’un art cinématographique singulier : l’essai s’appuie notamment sur les filles dévêtues qui peuplent les films de Debord pour y dire, selon un mouvement dialectique, la marchandise ou l’amour. L’ouvrage se veut un objet de référence sur le travail du cinéaste, mené par trois universitaires passionnés par cette oeuvre radicale. Il se veut aussi un livre qui donne la part belle aux illustrations en offrant des reproductions présentées dans un portfolio que des commentaires proposent d’éclairer en annexe : les pin-up et les étalages de nourriture du capitalisme marchand s’y frottent aux visages de ceux et celles qu’il a aimés et aux scènes de bataille qu’il détourne pour représenter le combat révolutionnaire. Les amateurs du cinéma de Debord trouveront là un matériau inédit propre à satisfaire toutes les curiosités, et ceux qui le découvrent seront guidés par l’appareil didactique de l’ouvrage pour pénétrer la fabrique d’un grand détournement dont la création contemporaine, dans tous les domaines, ne cesse de s’inspirer.